Une.Histoire.de.Dix.et.Un

Je t'écris, mon Bébé Chat

Ecrit le Jeudi 5 mars 2015 - 0:06

Je l'avais déjà vue une fois, cette fille. Je l'avais vue et j'avais secoué la tête, murée dans ma musique, lisant sur ses lèvres, un refrain mille fois entendu. Chanté, grogné, agressé, crié, supplié. Tous les tons, toutes les formes. Et toujours ce même mouvement. Cette secousse de la tête, de droite à gauche, lèvre mordillée, œil désolé.

Non, je n'ai pas de monnaie. Non, je n'ai rien pour toi.

Et ce sont ses yeux. Sa politesse rigoureuse. Son visage. Tellement délicat, tellement beau sous la dureté de la rue.

Mon coeur s'est essoufflé, mangé par une brutale contraction. Une brutale dénégation de la réalité. Un cri tout simple qui a résonné dans mon coeur. Pourquoi elle aussi?

On les connait, les hommes de la rue. Et Les femmes profondément masculinisées, mille fois couvertes de vêtements, cheveux coupés ras. On ne le distingue presque plus. Un reflet surtout, d'une ancienne femme. Qu'on dissimule, qu'on neutralise à l'extrême. Parce qu'on sait ce qu'il se passe pour une femme dans la rue.

Et voir ce visage si doux, si jeune, si poupin, si "jeune fille de bonne famille", malgré les vêtements d'homme, le chien et la rocaille au fond de la voix. Le voir et savoir, par en dessous, les viols, les agressions, les maltraitances et cette ignorance profonde, superbe dans laquelle elle navigue, elle et son très gros chien. Elle et sa très grosse souffrance.

J'espère m'être faite avoir. J'espère qu'elle a un toit où dormir, qu'elle ne fait la manche que pour glaner et mettre de côté. Qu'elle n'est pas vraiment dans une misère noire. Comme toutes ses gitanes qu'on envoie le matin et qui rentrent le soir.

Excusez mes mots s'ils vous paraissent crus. Mais je n'ai pas vocation à vouloir minimiser et rester dans le bien-pensant général, visant à maintenir l'uniformité toute relative d'une population pensant pareil, ce qu'On lui dit de croire.

Et qu'importe, je l'ai vue une fois et ce serrement m'est restée. J'ai vu son monstre et je me suis dit que, peut être, il l'empêchait d'être violentée. Mais j'ai eu mal pour elle et son visage si beau..

 

Et ce soir, elle est apparue dans mon tram. Chien toujours plus sublime de muscles. Je l'ai reconnue. Et le serrement est revenu, dix fois plus fort. Ses cheveux étaient sales, son visage était marqué. Yeux bouffis. Déjà si vieille.. Elle est passée, je lui ai souri. Lèvre mordillée, oeil désolé.

Et j'ai commencé à me battre avec moi même. J'ai lutté pour de vrai. J'ose, j'ose pas? J'y vais, j'y vais pas? Pourquoi ce blocage? Le leitmotiv parental. Non, on ne donne pas aux gens qui font la manche, çà ne les aide pas. Ils veulent seulement pouvoir picoler.

Et puis, j'ai fait le vide. J'ai volontairement et consciemment tout éteint consciensieument et j'ai retiré mes écouteurs.

Question stupide, aussi gênées l'une que l'autre.. "Excusez moi mais.... vous avez besoin de quoi?"

Vaste, si vaste! question que j'ai lu dans son regard. L'étonnement et puis.. "Un brin de monnaie, si vous avez.."

Et j'ai été honnête. Profondément.

"De la monnaie, j'en ai pas mais par contre, j'ai de la nourriture, si vous voulez.."

Instinctivement, je me suis doutée qu'elle voudrait peut être pas. Que je ne pouvais pas la forcer à accepter de la nourriture. Que je voulais pas me retrouver avec un "non, merci, j'en veux pas" alors j'ai demandé.

"Ben oui mais bon, gardez quelque chose pour vous, hein!"

C'était tellement.. mignon, spontané. Complètement à l'image de ce que je pourrais moi même sortir. J'ai souri.

"Vous préoccupez pas, j'en ai et pour le coup, je suis sure que j'en ai trop"

Phrase des plus maladroites, s'il en est. Mais le fond était sincère. Je savais, en allant à mon apéro qu'il me resterait des choses sur les bras. Donc en trop.

Je lui ai remis une pauvre boite de tomates cerise, en m'excusant.

"Ecoutez, c'est pas grand chose mais c'est au moins çà.. Si çà peut vous aider, prenez, vraiment"

Et je savais pu où me mettre. Parce que ses yeux brillaient bien trop d'un coup, qu'ils avaient viré rouge et que c'était un rictus bien trop connu que je voyais déformer sa bouche. Ce sourire si triste.. Et moi, je voulais pas la faire pleurer. Je voulais seulement qu'elle soit contente. J'aurais pu engagé la conversation mais j'ai rougi et je me suis dépêtré de ces nombreux "merci beaucoup, mademoiselle. Merci beaucoup. Bonne soirée. Bonne soirée"

Elle voulait pas s'éloigner, elle se retournait tous les 50 cm et moi, j'avais honte de mon paquet de tomates. J'aurais voulu avoir un poulet roti, un repas rempli de protéines, de la nourriture pour le chien. J'aurais voulu lui demander pourquoi, j'aurais voulu lui dire "écoute, c'est stupide mais tu me fais tellement de peine, tu es tellement belle et pas à ta place, viens, je t'emmène et je te paie tes courses"

J'aurais voulu avoir 20 euros, 50, 100! J'aurais voulu plus que ses pleurs et cette maudite boite de tomates cerises entre nous. Des larmes pour des tomates à 99 cents. C'était tellement trop peu.. Qu'elle pleure pour un sac rempli de nourriture consistante, oui!

Mais on était dans le tram et je devais descendre à la suivante. Rejoindre mes amis, rire et m'amuser.

Mais la première chose que j'ai faite en arrivant, c'est lâcher mon sac et mes affaires et parler de toi. De toi, de ton sourire si doux, de ton chien si gros et de mon profond désespoir à être si inutile.. Parce que je me suis sentie proche de toi, j'ai imaginé tes parents, j'ai imaginé les nuits, j'ai imaginé la peur, la solitude, le désespoir. Et puis, tu étais douce avec ta Bête.

Je suis même pas fière de ce que j'ai fait. Mais je sais que je suis dans la bonne direction professionnelle. Que ma nature profonde a bien guidé mon choix, a su se faire entendre. Je sais que je veux aider. A plus grande échelle, à plus haut niveau mais que toujours, ce visage restera comme leitmotiv.

Et ces maudits pleurs qui me crispent le ventre de honte.. Honte d'être si riche, honte d'avoir un toit et des parents pleins aux as. Honte d'avoir donné que ces pauvres tomates. Je n'avais rien d'autre à proposer en plus. Dans mon cabas. J'ai préféré lui donner du "sain", plutôt que des merdes appéritives qui donnent soif et encore plus faim.

Mais j'aurais aimé avoir plus. Je lui aurais filé mes madeleines. Mon pain. Mon fichu poulet. Parce que les tomates, c'est toxique pour les chiens. Si son chien meurt à cause de moi...

Culpabilité. J'ai du mal à me suivre. J'aurais du faire plus.
Par a-demi-maux le Jeudi 5 mars 2015 - 3:56
une main tendue.. il n'y a rien de plus beau.. et qu'importe si on donne peu.. tant que c'est avec le coeur..

**Touchée en plein coeur** <3
Par Champi-Haine le Vendredi 6 mars 2015 - 18:33
Il y a quelques années, je croisais souvent une "teufeuse" comme on aime les appeler avec son énorme labrador. Un jour je me suis posée un peu pour parler avec elle, elle vivait dans une caravane abandonnée, le temps de se remettre sur pied. "Le temps de". La phrase résonne et les vies s'allongent dans les oreilles. Quand je faisais mes courses, je lui achetais souvent un paquet de croquette, des bonbons et des bougies "parce que je lis la nuit quand je rentre".
Par Kyra le Dimanche 8 mars 2015 - 22:03
Tu as fait tout ce qu'il fallait.. ♥
Ca me rappelle No et moi.. Tu l'as lu ?

Des bisous tout chauds.
Par Xp-Psychedelik le Jeudi 30 avril 2015 - 22:09
Ton article me touche, il m'a mis les larmes aux yeux. J'ai déjà vécu ça. Tu devrais lui parler, si tu l'as recroise n'hésite pas à aller la voir. Quand on est dehors les gens nous regarde comme si on avait la peste, ceux qui nous aide, qui sont sincère sont tellement rare. Ca fait tellement du bien de se sentir soutenue, juste un peu.

Moi j'avais 13 ans, je faisais 1m55 et j'avais pas de chien. C'était vraiment difficile, je me suis bouffée des coups autant par les flics que par des gens malsains. Même des bourges m'ont expulsé plus d'une fois de 'leur trottoir'. Les gens s'en foutent d'une gamine toute seule dehors, ça leur fait peur.

Je ne sais pas si tu as lu l'article sur mon blog où j'explique quand j'étais sur Lyon toute seule et que j'ai croisé cette fille, plus âgée que moi, qui est venue le premier soir juste discuter une petite heure. Le lendemain elle est revenue avec un sac à dos plein de gâteaux, de coca, d'eau, un peu de monnaie et un paquet de clope. Elle a pensé à moi toute la nuit et le lendemain elle a pris 20 € et m'a offert ce sac rempli et des clopes. J'avais pleuré comme une madeleine, personne n'avait jamais été aussi gentil avec moi. Cette étudiante même si je ne l'ai jamais revue elle sera pour moi toujours une amie.

Si tu vois que cette jeune fille a besoin d'aide, même si à ton échelle tu penses que ce n'est pas grand chose, si tu peux lui donner un peu de monnaie, des clopes, du coca, de l'eau, des gâteaux, ... N'hésite pas ! C'est tellement dur dehors. Et je sais que les gens se disent qu'avec de la monnaie ils vont s'acheter des clopes ou de l'alcool, mais tu crois que c'est si grave que ça ? Je ne sais pas comment j'aurais tenu dehors sans boire de temps en temps et rigoler avec des gens en ayant une petite bière. Parce que la vie est difficile et que ça aide, un minimum, pas besoin de devenir alcoolique pour autant, mais même si elle achète une cannette avec ta monnaie, tu l'auras aider, vraiment.
Par Xp-Psychedelik le Jeudi 30 avril 2015 - 22:17
Pour le chien, tkt pas elle ne va pas lui donner des tomates ^^. Il y a des associations comme les "sans niche fixe" ou les "croquettes pour tous" etc, y'en a dans toutes les grandes villes. Suffit d'y aller et ils nous donnent des croquettes pour notre toutou, puis souvent les gens dans la rue donnent pour les animaux. Moi je n'avais pas pris de chien pour ça, je bougeais tout le temps pour ne pas me faire chopper par les flics et finir en foyer, alors je ne pouvais pas m’embarrasser d'une bouche à nourrir. Mais c'est sur que ça réchauffe et ça donne de l'amour, on se sent moins seule avec un compagnon à 4 pattes.
 

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